Interview du Docteur Bensussan - 1ère Partie

C'est avec un immense honneur que nous vous proposons à partir d'aujourd'hui l'interview que le Docteur Bensussan a bien voulu nous consacrer. Une nouvelle fois, nous tenions à le remercier pour le temps qu'il nous a accordé.

 

Bonjour Docteur,

 

Vous avez ainsi été contacté par les avocats de Jean-Paul Degache afin de réaliser un rapport d’expertise psychiatrique et une lecture critique du dossier de cette personne ayant été condamnée à 8 ans de prison lors du premier procès en assises.

 

Est-ce que cela vous arrive fréquemment d’intervenir dans ce type d’affaire ?

 

Dr Bensussan : Si votre question a trait aux affaires de délinquance sexuelle, en particulier sur mineurs, la réponse est évidemment positive : les magistrats qui me désignent savent que, depuis de longues années et à travers différents ouvrages et publications, j’ai œuvré dans ce domaine, cherchant avant tout à diminuer la subjectivité de l’approche expertale par l’utilisation de règles méthodologiques strictes, inspirées de la méthodologie en vigueur dans les pays anglo-saxons. J’ai dans le même esprit proposé, bien avant l’affaire dite d’Outreau, d’éradiquer le terme « crédibilité » du jargon et de la mission de l’expert, préférant parler, dans mes propres rapports d’expertise et avant que cette suggestion ne soit faite par la Commission d’enquête parlementaire chargée d’étudier les dysfonctionnements dans cette affaire, de la fiabilité du dévoilement : terme plus technique, qui focalise moins l’attention de l’expert (et des magistrats qui ont la lourde responsabilité de juger) sur la notion de mensonge ou de vérité, s’intéressant plutôt au contexte dans lequel a surgi la révélation et à la qualité du recueil des données.

En revanche, si votre question concerne les consultations d’expert à titre privé, je dois préciser que cette pratique demeure, chez moi, parfaitement exceptionnelle.

En effet, notre procédure pénale inquisitoire n’a pas préparé nos tribunaux à la pratique des contre-expertises en défense, qui peuvent susciter la réticence, voire l’hostilité des magistrats. Le débat à ce sujet est évident : les contre-expertises en défense sont réputées partiales puisqu’elles s’avèrent, systématiquement, être en faveur de la personne qui la sollicite. Mais il existe un biais considérable pouvant expliquer ce constat : il est évident qu’aussi impartial et objectif que soit l’expert consulté à titre privé, l’avocat qui le mandate a toute latitude pour utiliser (ou non) son rapport, celui-ci pouvant être écarté s’il est trop défavorable à son client. Un premier filtre opère d’ailleurs en amont : l’acceptation d’une éventuelle mission par l’expert consulté à titre privé suppose, au moins pour ce qui me concerne, d’être choqué par les constatations et les conclusions de ces confrères judiciairement désignés, en particulier si elles ne sont pas conformes aux règles de l’art.

Il me semble donc que la possibilité de consulter un expert à titre privé fait partie intégrante des droits de chaque justiciable à un procès équitable et ne pose en réalité pas de problème éthique ou déontologique, dès lors que le travail de l’expert consulté par la défense n’a pas vocation à s’ériger en preuve, se limitant à la lecture critique et à l’analyse de précédentes expertises judiciaires.

On sait en effet à quel point l’expert psychiatre, dans ces affaires où la preuve fait cruellement défaut, peut peser lourdement sur le verdict : il est donc salubre, si son écrit souffre d’approximations scientifiques flagrantes et d’une approche trop intuitive ou péremptoire, que ce travail puisse être critiqué, dans le respect, cela va sans dire, du tact, de la déontologie et de la courtoisie. Il me semble d’ailleurs que la Cour de cassation s’était prononcée à ce sujet et avait estimé légale cette pratique d’expertise privée[1].

Je suis persuadé, quant à moi, que si cette pratique se développait, le niveau des expertises judiciaires augmenterait sensiblement : il est évident que nous ne rédigeons pas de la même façon lorsque nous savons que notre écrit sera lu, éventuellement à la loupe, par des confrères compétents : l’évaluation par nos pairs est à la fois une fantastique leçon de modestie et un précieux instrument de formation continue.



[1] Chambre criminelle de la Cour de cassation, 6 septembre 2006, Bulletin, numéro 213

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