Lundi Citoyen sur le thème « Vivre en prison »

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Un de nos fidèles lecteurs du blog s’est rendu lundi soir à Annonay afin d’assister à cette rencontre sur le thème de « vivre en prison ». Il nous a envoyé son compte-rendu et nous l’en remercions.

 

C’est devant une salle pleine que le Lundi citoyen sur le thème de la prison s’est déroulé ce lundi 8 novembre. L’intervenant était Charles Bècheras, Aumônier à la Maison d’Arrêt de Privas depuis juin 2000, Aumônier régional (Rhône-Alpes / Auvergne), Aumônier de l’Hôpital psychiatrique de Privas, et chargé de la formation des aumôniers de prison. Il s’est, avant d’exercer ces fonctions, occupé de structures de réinsertion.  Quelqu’un qui maîtrise donc bien son sujet ! Pour information, deux aumôniers travaillent à la Maison d’Arrêt de Privas depuis 2002, ils sont trois depuis 2010. Dans un premier temps, C. Bècheras a tenté de faire le tour du thème, puis, dans un second, il a répondu aux nombreuses questions du public.

 

Première Partie


Le parcours judiciaire  

- L’accusé, ou prévenu, est sous mandat de dépôt. Il est en détention provisoire. Ces gens, en attente de jugement, ne peuvent pas se reconstruire.

- La personne a été jugée. Si elle a été condamnée à plus d’un an de détention, elle part le plus souvent dans un centre de détention. Si la peine est très lourde, c’est en maison centrale.

- Les aménagements de peine :

            * Les remises de peine automatiques, à raison de 2 mois par an. Elles peuvent toutefois sauter en cas de mauvaise conduite.

            * A mi-peine, une demande de liberté conditionnelle peut être faite

            *Lorsque le reliquat de peine est inférieur à 2 ans, le port du bracelet électronique peut être demandé.

L’aumônier voit la personne à un moment précis de son « parcours » judiciaire. Les perceptions sont donc très différentes d’une personne à l’autre.

 

Le sens de la peine 

A terme, le but est la réinsertion du détenu. Or, certaines personnes qu’il rencontre n’ont jamais été insérées dans la société ! Il cite l’exemple de R. qui a alterné pendant 14 ans prison et squat.

La restauration de l’humanité de la personne passe par la « fabrication » d’hommes nouveaux en prison. Pour cela il doit reconnaître le délit commis.

Dans la réalité, une peine de prison est une punition. C’est la vengeance de la société, souvent relayée par les médias sur les grandes affaires criminelles.

On met en prison pour protéger la société, mais peut-on se protéger à vie d’une personne ? La perpétuité avec peine incompressible de 30 ans est de plus en plus utilisée.

 

La maltraitance 

- La cellule est un espace exigu, concentrant souvent plusieurs détenus avec les conflits que ça peut entraîner.

- La maltraitance, selon C. Bècheras, c’est aussi le temps supprimé, c’est-à-dire que rien n’est fait pour faire du détenu quelqu’un d’autre.

- L’attente terriblement angoissante du jugement est également une forme de maltraitance.

- L’infantilisation de la personne est omniprésente. Elle se concrétise par l’attente, la multiplication de différentes demandes du prisonnier à l’administration restant sans réponses, l’impossibilité de rentrer certains objets ou l’attente d’une hypothétique autorisation.

L’aumônier de la Maison de Privas rappelle que théoriquement le détenu est seulement privé de la liberté, pas de sa dignité.

 

Auteurs et victimes 

La société ne doit pas se servir de la victime comme d’un instrument. La victimisation dessert la cause de la victime car celle-ci se retrouve enfermée dans son statut. Elle ne peut pas devenir une personne nouvelle.

C. Bècheras rappelle qu’un aumônier ne défend pas un coupable ou présumé coupable. Il est à ses côtés.

 

Psychiatrie et prison

20% des détenus ont une pathologie psychiatrique lourde. On estime qu’ils sont jusqu’à 40% avec une pathologie légère.

 

 

 

Seconde Partie

 

- Que faut-il privilégier : la prison, les amendes, les peines de remplacement ?

CB : Selon la loi, « la prison c’est l’exception ». Dans la réalité ce n’est pas le cas. Néanmoins peu de monde est prêt à prendre des Travaux d’Intérêt Général (TIG).

La mise en place de peines planchers pour les récidivistes fait exploser les emprisonnements, et souvent pour de longues durées.

 

- Qu’en est-il de la politique pénitentiaire actuellement ?

CB : Le Contrôleur général des lieux de privation de libertés, Jean-Marie Delarue, fait le constat qu’un établissement de plus de 300 places est peu efficace. Or, aujourd’hui, les établissements pénitentiaires sont beaucoup plus grands, et on y perd toute humanité.

C’est par exemple le cas de la Maison d’Arrêt de Corbas, qui a vu le transfert des anciennes prisons de St Paul, St Joseph et Montluc. Elle concentre quelques 900 détenus. Six mois après son ouverture, 25% du personnel était en arrêt maladie. Il y a encore moins de réinsertion dans ces grandes prisons.

En ce qui concerne les Etablissements pénitentiaires pour mineurs (EPM), cela coûte cher, et celui de Meyzieu a des résultats décevants.

Le problème est peut-être ailleurs que dans la prison…

 

- Quels sont les différents types de médiation ?

CB : Tout d’abord, il y a le service médical, qui n’est pas du personnel pénitentiaire. Il y a également l’aumônier, la famille, les visiteurs de prison, les intervenants extérieurs, la bibliothèque…

Les liens familiaux ne résistent pas toujours à l’incarcération. Par exemple, à l’EPM de Meyzieu, le directeur n’avait vu que 5 familles sur la quarantaine de détenus…

A noter que l’aumônier est le seul, avec le personnel pénitentiaire, à pouvoir rentrer dans les cellules. Il assure une dimension spirituelle.

 

- Que ce soit en prison ou dans d’autres institutions, prend-on réellement soin de l’Homme ?

CB : On les soigne techniquement parlant, mais on ne prend pas soin de la personne, de son intégrité. C’est en partie une question d’argent !

 

- Quelles sont les contraintes du travail d’aumônier en prison ?

CB : Le prosélytisme est interdit. A part cela, la liberté de l’aumônier est grande.

 

- Y a-t-il un dialogue entre l’aumônier catholique et les détenus musulmans ?

CB : Il n’y a aucun problème, les échanges existent avec tous. La dimension spirituelle, quelle que soit la religion, est la même.

 

- Quelles sont les conséquences de faire cohabiter dans une même cellule des gens condamnés ou prévenus pour des motifs bien différents ?

CB : Il est difficile d’empêcher les rencontres et les conséquences néfastes qu’elles peuvent avoir à la sortie des détenus. L’encellulement individuel n’empêche pas les contacts qui ont lieu lors des promenades ou diverses activités.

 

- Que pensez-vous des jurys populaires ?

CB : Ils existent en cours d’assises, on en parle en correctionnelle. Si cela est mis en place en correctionnelle, la justice ne pourra pas y faire face. Les délais de jugement seront encore rallongés.

Je suis favorable à des jugements prononcés par des professionnels. Un juge a plus de recul dans une affaire  qu’un jury populaire composé par monsieur tout le monde, et qui va réagir bien souvent sous le coup de l’émotion. De plus, le juré ne connaît ni le droit, ni le dossier.

 

 - Quelle est la journée type en Maison d’Arrêt ?

CB : Ceux qui ne travaillent pas font ce qu’ils veulent dans leur cellule.

Ceux qui travaillent, à Privas, déjeunent dans leur cellule. Ils travaillent de 8h à 14h puis retournent manger dans leur cellule une nourriture souvent froide. L’après-midi, ils peuvent avoir parloir, école, aller à la bibliothèque ou en promenade, ou rien. Le repas du soir est servi à 17h15.

 

- Qu’en est-il du métier de surveillant en prison ?

CB : Leur formation est très courte, de quelques semaines à quelques mois. Une assistante sociale passe les voir seulement une fois par trimestre environ.

Ils peuvent parler avec l’aumônier des nombreuses difficultés de ce métier, éprouvant physiquement et psychologiquement.

 

- Comment est gérée la sexualité des détenus ?

CB : Rien n’est fait. Des préservatifs sont distribués, c’est tout.

Le détenu est aussi privé de relations affectives, ainsi que les conjoints.

 

- Comment sont gérées la télé et les courses ?

CB : A Privas, la Télé c’est 13 euros par détenu, par mois ! Tous les membres de la cellule doivent payer cette somme, même s’ils sont 6 !

Théoriquement, un prix unique par cellule doit être mis en place.

Pour les courses, on observe un écart très important entre ce que « cantine » le détenu, et le prix affiché en magasin.

 

- Qu’est-ce que l’indigence en prison ?

CB : A Privas, l’indigence c’est lorsque la personne rentre avec moins de 25 euros. Si un mois après il n’a pas reçu de mandat, est mis en place un contrat d’indigence. La personne s’engage sur certains points (aller à l’école, se faire soigner…) et en échange il reçoit 55 euros par mois.

Outre le fait d’améliorer un tout petit peu le quotidien des détenus les plus pauvres, le but est d’éviter que ceux-ci soient corvéables à merci vis-à-vis des autres détenus.

 

- Existe-t-il une école en prison ?

CB : L’éducation nationale est présente dans tous les établissements. C’est capital pour la réinsertion des personnes.

L’association Auxilia joue également un rôle primordial.

 

 

- Comment se passent vos entretiens avec les détenus ?

CB : J’ai les clés des cellules. Je frappe toujours avant d’entrer. La discussion s’engage dans la plupart des cas. Les liens se tissent peu à peu. Un prévenu ou un condamné ne peut et ne doit pas être réduit à son acte. Je les aide souvent pour rédiger leurs courriers, faire leurs devoirs. Les gens pris en accompagnement par l’aumônier sont vus plus souvent. Les rencontres sont soit individuelles, réalisées au parloir, soit collectives, à travers une discussion dans la cellule, de travail de groupe autour d’un texte biblique ou d’évènements d’actualité. Les grandes fêtes religieuses sont l’occasion de se retrouver autour d’une célébration religieuse.

 

 

Charles Bècheras a conclu son intervention de presque 2h30 sur cette réponse concernant son quotidien d’aumônier de prison. Le public a beaucoup apprécié les éclaircissements apportés sur le milieu carcéral, l’humanisme et l’engagement  de cet homme passionné.

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